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Une des cordes du hamac se rompit, et miss Ward glissa à terre, mais sans se faire mal ; six mains se tendirent vers elle simultanément. La jeune fille était déjà debout, toute rose de pudeur, car il est improper de tomber devant des hommes. Cependant, pas un des chastes plis de sa robe ne s’était dérangé.

« J’avais pourtant essayé ces cordes moi-même, dit le commodore, et miss Ward ne pèse guère plus qu’un colibri. »

Le comte Altavilla hocha la tête d’un air mystérieux : en lui-même évidemment il expliquait la rupture de la corde par une tout autre raison que celle de la pesanteur ; mais, en homme bien élevé, il garda le silence, et se contenta d’agiter la grappe de breloques de son gilet.

Comme tous les hommes qui deviennent maussades et farouches lorsqu’ils se trouvent en présence d’un rival qu’ils jugent redoutable, au lieu de redoubler de grâce et d’amabilité, Paul d’Aspremont, quoiqu’il eût l’usage du monde, ne parvint pas à cacher sa mauvaise humeur ; il ne répondait que par monosyllabes, laissait tomber la conversation, et en se dirigeant vers Altavilla, son regard prenait son expression sinistre ; les fibrilles jaunes se tortillaient sous la transparence grise de ses prunelles comme des serpents d’eau dans le fond d’une source.

Toutes les fois que Paul le regardait ainsi, le comte, par un geste en apparence machinal,