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qui ordinairement mangeait aussi peu qu’un oiseau, coupait à l’emporte-pièce de ses dents perlées une rose tranche de jambon d’York mince comme une feuille de papier, et grignotait un petit pain sans en laisser une miette pour les poissons dorés du bassin.

Les jours heureux passent si vite ! De semaine en semaine Paul retardait son départ, et les belles masses de verdure du parc commençaient à revêtir des teintes safranées ; des fumées blanches s’élevaient le matin de l’étang. Malgré le râteau sans cesse promené du jardinier, les feuilles mortes jonchaient le sable de l’allée ; des millions de petites perles gelées scintillaient sur le gazon vert du boulingrin, et le soir on voyait les pies sautiller en se querellant à travers le sommet des arbres chauves.

Alicia pâlissait sous le regard inquiet de Paul et ne conservait de coloré que deux petites taches roses au sommet des pommettes. Souvent elle avait froid, et le feu le plus vif de charbon de terre ne la réchauffait pas. Le docteur avait paru soucieux, et sa dernière ordonnance prescrivait à miss Ward de passer l’hiver à Pise et le printemps à Naples.

Des affaires de famille avaient rappelé Paul en France ; Alicia et le commodore devaient partir pour l’Italie, et la séparation s’était faite à Folkestone. Aucune parole n’avait été prononcée, mais miss Ward regardait Paul comme son