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Il y en a toujours qui stationnent autour des grands hôtels, n’attendant que la fantaisie des voyageurs ; le désir de Paul fut donc accompli sur-le-champ. Les chevaux de louage napolitains sont maigres à faire paraître Rossinante surchargée d’embonpoint ; leurs têtes décharnées, leurs côtes apparentes comme des cercles de tonneaux, leur échine saillante toujours écorchée, semblent implorer à titre de bienfait le couteau de l’équarrisseur, car donner de la nourriture aux animaux est regardé comme un soin superflu par l’insouciance méridionale ; les harnais, rompus la plupart du temps, ont des suppléments de corde, et quand le cocher a rassemblé ses guides et fait clapper sa langue pour décider le départ, on croirait que les chevaux vont s’évanouir et la voiture se dissiper en fumée comme le carrosse de Cendrillon lorsqu’elle revient du bal passé minuit, malgré l’ordre de la fée. Il n’en est rien cependant ; les rosses se roidissent sur leurs jambes et, après quelques titubations, prennent un galop qu’elles ne quittent plus : le cocher leur communique son ardeur, et la mèche de son fouet sait faire jaillir la dernière étincelle de vie cachée dans ces carcasses. Cela piaffe, agite la tête, se donne des airs fringants, écarquille l’œil, élargit la narine, et soutient une allure que n’égalerait pas les plus rapides trotteurs anglais. Comment ce phénomène s’accomplit-il, et quelle puissance fait