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Cette oraison funèbre adressée à lui-même, Octave-Cherbonneau sortit d’un pas tranquille pour aller prendre possession de sa nouvelle existence.

Le comte Olaf Labinski était retourné à son hôtel et avait fait demander tout de suite si la comtesse pouvait le recevoir.

Il la trouva assise sur un banc de mousse, dans la serre, dont les panneaux de cristal relevés à demi laissaient passer un air tiède et lumineux, au milieu d’une véritable forêt vierge de plantes exotiques et tropicales ; elle lisait Novalis, un des auteurs les plus subtils, les plus raréfiés, les plus immatériels qu’ait produit le spiritualisme allemand ; la comtesse n’aimait pas les livres qui peignent la vie avec des couleurs réelles et fortes, ― et la vie lui paraissait un peu grossière à force d’avoir vécu dans un monde d’élégance, d’amour et de poésie.

Elle jeta son livre et leva lentement les yeux vers le comte. Elle craignait de rencontrer encore dans les prunelles noires de son mari ce regard ardent, orageux, chargé de pensées mystérieuses, qui l’avait si péniblement troublée et qui lui semblait ― appréhension folle, idée extravagante ― le regard d’un autre !

Dans les yeux d’Olaf éclatait une joie sereine, brûlait d’un feu égal un amour chaste et pur ; l’âme étrangère qui avait changé l’expression de ses traits s’était envolée pour toujours : Pras-