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paraissent des minutes, des heures, à l’anxiété des assistants.

Ici, les conditions du duel, en apparence ordinaires pour les spectateurs, étaient si étranges pour les combattants, qu’ils restèrent ainsi en garde plus longtemps que de coutume. En effet, chacun avait devant soi son propre corps et devait enfoncer l’acier dans une chair qui lui appartenait encore la veille. ― Le combat se compliquait d’une sorte de suicide non prévue, et, quoique braves tous deux, Octave et le comte éprouvaient une instinctive horreur à se trouver l’épée à la main en face de leurs fantômes et prêts à fondre sur eux-mêmes.

Les témoins impatientés allaient crier encore une fois : « Messieurs, mais allez donc ! » lorsque les fers se froissèrent enfin sur leurs carres.

Quelques attaques furent parées avec prestesse de part et d’autre.

Le comte, grâce à son éducation militaire, était un habile tireur ; il avait moucheté le plastron des maîtres les plus célèbres ; mais, s’il possédait toujours la théorie, il n’avait plus pour l’exécution ce bras nerveux habitué à tailler des croupières aux Mourides de Schamyl ; c’était le faible poignet d’Octave qui tenait son épée.

Au contraire, Octave, dans le corps du comte, se trouvait dans une vigueur inconnue, et, quoique moins savant, il écartait toujours de sa poitrine le fer qui la cherchait.