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Plus prudent cette fois, Octave voila la flamme de ses yeux et masqua sa muette extase d’un air indifférent.

La comtesse allongea son petit pied chaussé d’une pantoufle en peau mordorée, dans la laine soyeuse du tapis-gazon placé sous la table pour neutraliser le froid contact de la mosaïque de marbre blanc et de brocatelle de Vérone qui pavait la salle à manger, fit un léger mouvement d’épaules comme glacée par un dernier frisson de fièvre, et, fixant ses beaux yeux d’un bleu polaire sur le convive qu’elle prenait pour son mari, car le jour avait fait évanouir les pressentiments, les terreurs et les fantômes nocturnes, elle lui dit d’une voix harmonieuse et tendre, pleine de chastes câlineries, une phrase en polonais !!! Avec le comte elle se servait souvent de la chère langue maternelle aux moments de douceur et d’intimité, surtout en présence des domestiques français, à qui cet idiome était inconnu.

Le Parisien Octave savait le latin, l’italien, l’espagnol, quelques mots d’anglais ; mais, comme tous les Gallo-Romains, il ignorait entièrement les langues slaves. ― Les chevaux de frise de consonnes qui défendent les rares voyelles du polonais lui en eussent interdit l’approche quand bien même il eût voulu s’y frotter. ― À Florence, la comtesse lui avait toujours parlé français ou italien, et la pensée d’apprendre l’idiome