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pu deviner le mystérieux déplacement d’âmes opéré par le docteur Cherbonneau au moyen de la formule du sannyâsi Brahma-Logum, Prascovie ne reconnaissait pas, dans les yeux d’Octave-Labinski, l’expression ordinaire des yeux d’Olaf, celle d’un amour pur, calme, égal, éternel comme l’amour des anges ; ― une passion terrestre incendiait ce regard, qui la troublait et la faisait rougir. ― Elle ne se rendait pas compte de ce qui s’était passé, mais il s’était passé quelque chose. Mille suppositions étranges lui traversèrent la pensée : n’était-elle plus pour Olaf qu’une femme vulgaire, désirée pour sa beauté comme une courtisane ? l’accord sublime de leurs âmes avait-il été rompu par quelque dissonance qu’elle ignorait ? Olaf en aimait-il une autre ? les corruptions de Paris avaient-elles souillé ce chaste cœur ? Elle se posa rapidement ces questions sans pouvoir y répondre d’une manière satisfaisante, et se dit qu’elle était folle ; mais, au fond, elle sentait qu’elle avait raison. Une terreur secrète l’envahissait comme si elle eût été en présence d’un danger inconnu, mais deviné par cette seconde vue de l’âme, à laquelle on a toujours tort de ne pas obéir.

Elle se leva agitée et nerveuse et se dirigea vers la porte de sa chambre à coucher. Le faux comte l’accompagna, un bras sur la taille, comme Othello reconduit Desdémone à chaque sortie dans la pièce de Shakspeare ; mais quand elle