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bonneau avait l’air d’une figure échappée d’un conte fantastique d’Hoffmann et se promenant dans la réalité stupéfaite de voir cette création falote. Sa face extrêmement basanée était comme dévorée par un crâne énorme que la chute des cheveux faisait paraître plus vaste encore. Ce crâne nu, poli comme de l’ivoire, avait gardé ses teintes blanches, tandis que le masque, exposé aux rayons du soleil, s’était revêtu, grâce aux superpositions des couches du hâle, d’un ton de vieux chêne ou de portrait enfumé. Les méplats, les cavités et les saillies des os s’y accentuaient si vigoureusement, que le peu de chair qui les recouvrait ressemblait, avec ses mille rides fripées, à une peau mouillée appliquée sur une tête de mort. Les rares poils gris qui flânaient encore sur l’occiput, massés en trois maigres mèches dont deux se dressaient au-dessus des oreilles et dont la troisième partait de la nuque pour mourir à la naissance du front, faisaient regretter l’usage de l’antique perruque à marteaux ou de la moderne tignasse de chiendent, et couronnaient d’une façon grotesque cette physionomie de casse-noisette. Mais ce qui occupait invinciblement chez le docteur, c’étaient les yeux ; au milieu de ce visage tanné par l’âge, calciné à des cieux incandescents, usé dans l’étude, où les fatigues de la science et de la vie s’écrivaient en sillages profonds, en pattes d’oie rayonnantes, en plis plus pressés que les