Car votre père, à vous, ô tristes multitudes
Dont le dos est courbé sous tant de servitudes,
Car votre père, à vous, ô peuples, c’est Kaïn.
Vous êtes les maudits dont les épaules rudes
Supportent la fardeau du caprice divin ;
Et de la haine en vous bout encor le levain.
Non, Père, tu n’as pas donné pour héritage
À tes Fils un destin éternel de servage.
Non, Père, le vaincu n’a pas tendu le cou
Pour toujours au carcan et la face à l’outrage.
— Mais sa chaîne est solide et bien rivée au clou !… —
Qu’importe, s’il la brise en éclats tout à coup ?
Car les déshérités, les vendus, les esclaves ;
Sentent s’accumuler, comme d’ardentes laves,
Dans leur sein bouillonnant les affronts journaliers,
Plus ils sont patients, plus on les verra braves,
Le jour où, fatigués d’avoir les reins plies,
Ils dresseront, vengeurs, leurs fronts humiliés.
Les pleurs, le sang versé réclament la vengeance.
C’est la voix de Kaïn maudissant cette engeance
Exécrable, qui vit, vermine, à nos dépens :
La Richesse, engraissée aux frais de l’Indigence ;
Le Tyran qui fleurit parmi les faibles gens,
Et sur l’Honnêteté ce gui, les chenapans.