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Un plan jaillit de ta verve soudaine,
Je l’adoptai ; puis nous entrons en veine ;
Puis ton génie, au bout de quelques jours
Eut accouché d’une première scène ;
Et nous voilà, de concert travaillant,
Nous partageant et la gloire et la peine,
Créant, tranchant, ajoutant, rhabillant,
Mêlant nos vœux, notre espoir et nos rimes,
Rivaux d’ardeur et de fécondité,
Et tous les deux, dans nos élans sublimes,
Courant de front à l’immortalité.
Tels deux, coursiers, prêts à lutter d’audace,
D’un œil avide ont mesuré l’espace,
Et, sous le fouet, côte à côte partant,
Volent au but, l’un l’autre s’excitant.

Tu t’en souviens : la phrase cadencée
Fut difficile à tes premiers essais ;
Tes vers souvent jaillirent imparfaits ;
Je me chargeais de rimer ta pensée.
Souvent aussi, par un juste retour,
Trouvant ma phrase obscure, embarrassée,
Tu t’efforçais d’y jeter quelque jour,
Et tu pensais mes rimes à ton tour.
Dieu ! qui peindrait ces moments de délice,
Où, dans ta chambre, en secret introduit,
Des nouveaux nés du jour ou de la nuit
Je régalais ta vanité complice !
Comme tes yeux s’animaient par degrés,
Quand d’une voix solennelle, énergique,
Qu’accompagnaient des gestes inspirés,
Je déroulais l’appareil emphatique
Des vers récents, de mon cerveau tirés !
Avec quel art et quelle complaisance,
Ma voix savait ralentir la cadence,
Et prolonger un débit fastueux,
Quand j’arrivais à l’hémistiche heureux,
Au mot frappant dont l’effet nécessaire
Devait forcer les bravos du parterre,