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pays eurent entendu l’objet pour lequel on les avait convoqués, ils s’écrièrent d’une voix unanime. « Monseigneur, sauve votre grâce, nous ne voulons pas que Gaston meure ; c’est votre héritier, plus n’en avez. » Gaston se laissa toucher. Il promit d’épargner la vie de son fils, et se borna à le retenir en prison. Il y avait deux semaines que ce jeune prince était enfermé, lorsque le gardien, en lui offrant sa nourriture, aperçut intacts, dans un coin de la chambre, les aliments qu’il lui avait apportés depuis plusieurs jours. « Adonc referma-t-il la chambre et vint au comte de Foix et lui dit : — Monseigneur, pour Dieu, merci, prenez garde dessus votre fils ; car il s’affâme là en la prison où il git, et crois qu’il ne mangea oncques puis qu’il y entra ; car j’ai vu tout tant que je lui ai porté tourné d’un côté. De cette parole le comte s’enfelonna, et, sans mot dire, il se départit de sa chambre et s’en vint vers la prison où son fils étoit. Et tenoit, à la malheure, un petit coutelet dont il appareilloit ses ongles et nettoyoit. Il fit ouvrir l’huis de la prison et vint à son dit fils ; et tenoit l’alumelle de son coutel, et si près de la pointe qu’il n’en avoit pas hors de ses doigts l’épaisseur d’un gros tournois. Par mal talent, en boutant ce tant de pointe en la gorge de son fils, il l’asséna en je ne sais quelle veine, et lui dit : Ah ! traître, pourquoi ne manges-tu ? Et tantôt s’en partit le comte sans plus rien dire ni faire, et rentra en sa chambre. L’enfant fut sangmué et effrayé de la venue de son père, avec ce qu’il étoit faible de jeuner et qu’il vit ou sentit la pointe du coutel qui l’atoucha à la gorge ; car, tant petit que ce fut, ce fut en une veine : si se tourna d’autre part, et là mourut ; et à peine étoit rentré le comte en sa chambre quand nouvelles lui vindrent de celui qui administroit l’enfant, qui lui dit : — Monseigneur, Gaston est mort. »[1].

La douleur de Gaston fut grande : il prit des vêtements de deuil, fit célébrer d’une manière magnifique les obsèques de

  1. La mort du fils de Gaston eut lieu le 4 janvier 1381.