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œuvre contemporaine, mis au jour, un à un, tous les traits distinctifs du Romantisme ? – Arrivant peu après « la banqueroute du Naturalisme », en ce moment critique où le roman, en Allemagne comme en France, était désorienté, Bernhard Kellermann s’est fait d’abord résolument romantique. Ses maîtres et ses devanciers d’alors, ne sont autres que Novalis, Hölderlin, Jean Paul ; et n’a-t-on pas dit à propos d’Ingeborg, que « c’était le Werther du xxe siècle » ? Les frères de ces « héros » s’appellent, chez nous, Adolphe et René : comme ceux-ci, ils sont « volcaniques », ils ont un « cratère dans le cœur » ; comme eux, ils sont sentimentaux avec orgueil et faibles, malgré leur fougue tapageuse ; comme eux, ils sont de complaisantes illustrations à l’autobiographie de leurs auteurs, et comme eux, ils se font tout pardonner par la magnificence de leur lyrisme.


II

L’épithète de « romantique » définirait incomplètement cette œuvre ; en elle, il y a davantage, peut-être – ou autre chose. Et nous n’y avons pas encore discerné les germes d’un livre comme Le Tunnel.

À la suite de ses premiers succès de romancier, Kellermann entreprit de lointains voyages. Il visita l’Extrême-Orient et en rapporta deux charmants recueils d’impressions qui nous le montrent sous un nouveau jour : ce « subjectif » est un observateur. Ses Danses Japonaises, agréablement illustrées des eaux-fortes de Karl Walser, sont un spirituel album de « choses vues » – vues par un œil très pénétrant et mises au point par le plus raffiné des artistes. Accroupi à l’orientale sur le parquet verni d’une maison-de-thé, parmi les rieuses Geishas aux kimonos soyeux, qui, l’une après l’autre, exécutent pour lui leurs danses mimées, l’écrivain s’amuse et croque sur le vif. Il croque sur le vif, en jouisseur et en artiste ; c’est le contraire de l’observation philosophique, qui, partant d’un système, va au-devant de l’impression comme à la recherche d’un document, la prépare ou la suscite comme une expérience, et gratte enfin sous l’apparence, pour trouver le principe. Il n’a d’autre prétention que de voir ce qui lui plaît ; et dans cet autre joli carnet de notes si alertes et colorées, qui s’appelle Une promenade au Japon, Kellermann nous livre lui-même