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l’esprit d’entreprise, au labeur persévérant, à la volonté, au courage ; c’est un monument au travail moderne. Mac Allan travaille, et le travail l’absorbe tyranniquement, le martyrise, lui prend femme, enfant, ami, victimes de son œuvre ; le travail lui arrache son propre moi, sa fierté même, exige un don absolu de son âme et de son corps : Mac Allan travaille encore… et Mac Allan triomphe !

Et voici où se dégage le symbole. Tous les romans antérieurs de Kellermann n’ont pas conclu : Yester et Li est resté une désillusion, Ingeborg, une prière exaltée, La Mer, une nostalgie, Le Fou, un insatiable désir. Le Tunnel est une affirmation, une réalisation. Sa conclusion est un triomphe… Oh ! certes, l’œuvre gigantesque est bien près de l’anéantissement ; au lendemain de la catastrophe, devant la révolte des travailleurs, l’incendie du syndicat, les capitaux dilapidés, l’emprisonnement de Mac Allan, l’émotion est tendue jusqu’au désespoir. L’entreprise ne serait-elle pas surhumaine ?… Mais non ! Les énergies se ressaisissent soudain. Le travail reprend, avec un acharnement plus âpre, il terrasse les derniers obstacles. Le tunnel est achevé ! Le premier train s’élance sous l’océan ! Et la dernière phrase du livre éclate comme une fanfare : …« Ils étaient arrivés en Europe, avec douze minutes de retard. »

Travaillons ! travaillons, nous crie Mac Allan. Travaillons ! Nous sommes dans la bonne voie et le triomphe est promis à l’immense labeur moderne !… Telle est la morale. Et ce cri d’encouragement, cette exhortation au travail à tout prix – n’est-il pas symptomatique de les entendre retentir au milieu de ce peuple travailleur et entreprenant de l’Allemagne contemporaine, de l’Allemagne américanisée ?


Gaston Monod.