oici, en Allemagne, un roman à succès – le plus gros
succès littéraire de l’année 1913, et qui mérite de lui
survivre. « Roman-Sensation », en disait – combien
barbarement ! – un critique de Berlin. Les faits ont déjà justifié
ce barbarisme et le livre a fait « sensation », non seulement
dans le milieu des lettres, mais dans son propre milieu,
celui des affaires. C’est le livre « dont on parle » et « qu’on
s’arrache », outre-Rhin. La Société des Artistes berlinois réunit-elle,
cet hiver, en une brillante fête, toutes sortes de célébrités
de la littérature, des beaux-arts, de la musique, du
théâtre ? chaque invité doit y paraître, travesti en un personnage
du fameux roman. Son éditeur, prévoyant, eut beau faire
imprimer dix éditions d’un coup, elles s’épuisèrent et se renouvelèrent
si vite que la centième est aujourd’hui dépassée.
Cet heureux roman est le dernier de M. Bernhard Kellermann : Le Tunnel.
Kellermann est d’ailleurs un auteur heureux. En dix ans, avec cinq ou six livres, il s’est fait dans le roman allemand contemporain, une place considérable. Il commença, en charmeur, par se concilier les suffrages des jeunes gens et des femmes ; il fut d’abord celui qui savait des mots merveilleux, infiniment doux, infiniment tendres, et qui, surtout, savait les dire avec cette phraséologie à la fois éperdue et pleine d’art, cette griserie un peu superficielle du verbe, cette irrésistible rhétorique musicale, plus naturelles peut-être à l’âme d’un