Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inimaginables. En général, du reste, on pourrait, sans recherche paradoxale, mesurer la sincérité populaire au plus ou moins de taxes qui pèsent sur une nation : le parallèle, dans tous les cas, serait curieux.

Robson, qui avait navigué jadis dans les mers du Groënland, et Kinraid, qui passait maintenant pour le meilleur harponneur de la côte, devaient en venir tout naturellement à échanger le récit de leurs aventures. Ils ne s’en firent faute ; et Sylvia, l’oreille au guet, le cœur ému, resta sous le charme de ces légendes où le jeune homme dont elle s’était tant de fois préoccupée jouait naturellement le principal rôle. Sa pensée le suivait sur ces frêles embarcations que les glaces flottantes menaçaient à chaque instant d’engloutir, parmi ces animaux fabuleux avec lesquels il engageait une lutte insensée, au milieu de tous ces périls, enfin, d’où il sortait par des prodiges d’énergie et de sang-froidi Parfois, quand le récit prenait une couleur merveilleuse et quasi-mythologique, son ouvrage lui échappait des mains, et la jeune fille, immobile sur son siège, semblait littéralement fascinée. Daniel Robson, en pareil cas, ne manquait jamais de renchérir sur tout ce que son interlocuteur avait dit de moins vraisemblable, et de temps en temps, comme pour authentiquer ses plus incroyables fantaisies, il en appelait aux souvenirs de sa femme. Jadis, — quand ils étaient jeunes tous deux, et lorsqu’il cherchait à lui plaire, — il l’avait évidemment bercée de ces fabuleux récits, et dans un élan de franchise avinée, Daniel le laissa clairement entendre à Kinraid qui, du reste, se gardait bien de montrer la moindre incrédulité.

« C’est comme cela, lui disait-il en clignant de l’œil, c’est comme cela qu’on gagne le cœur des femmes. »

Le harponneur, à ces mots, regarda immédiatement Sylvia. Nulle préméditation dans ce regard, et cepen-