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me laissant libre de l’aller rejoindre, si bon me semblait. C’est ce que je fis une heure plus tard, malgré une température écrasante qui m’obligea, je m’en souviens, à mettre habit bas pendant la plus grande partie du chemin.

La ferme, quand j’y arrivai, ouverte de tous côtés, était comme enveloppée de silence. Les moindres feuilles d’arbre demeuraient immobiles. Je me demandais s’il pouvait bien se trouver un être vivant au fond de cette habitation muette, quand j’entendis s’élever une voix aiguë et tant soit peu chevrotante : c’était celle de la chère tante Holman, qui, tout en tricotant sous un ciel nuageux, psalmodiait je ne sais quelle hymne.

Je lui rendis compte de ma dernière absence, je lui donnai sur la nouvelle situation de mes parents mille détails qu’elle écoutait avec un intérêt affectueux, et je finis par m’informer du reste de la famille.

« Tout le monde est aux prairies, me dit-elle. Le ministre assure que nous aurons de la pluie avant demain matin, et il veut que sa dernière botte de foin soit abritée d’ici là. Betty, nos hommes, tous s’y sont mis. Le ministre y a même conduit Phillis et M. Holdsworth, appelés, eux aussi, à donner leur coup de main. J’y serais bien allée, mais ce n’est pas précisément à faner que je suis bonne, et d’ailleurs il fallait bien que quelqu’un gardât la maison. Il y a tant de… vagabonds dans le pays.

Au lieu du mot « vagabonds », si elle n’eût tenu à ménager ma susceptibilité, elle se fût servie du mot spécial de navvies, qui s’applique aux ouvriers nomades qu’emploient les chemins de fer. Je ne partageais aucunement ses appréhensions, et, lorsqu’elle m’eut permis de la quitter, suivant de point en point l’itinéraire qu’elle m’avait tracé, je traversai d’abord la cour de ferme ; puis, en longeant l’abreuvoir aux bestiaux, je gagnai le champ