Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/8

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à laquelle un Dante seul a manqué pour en dire les douleurs, et le génie même du peintre des enfers eût été impuissant à retracer les effroyables tortures que subit une population tout entière pendant cette cruelle époque. Les philanthropes, qui essayèrent d’en étudier les causes, reculèrent épouvantés, et s’avouèrent vaincus en présence de cette misère sans nom, qui dépassait toute croyance et leur donnait le vertige. Comment s’étonner après cela des sentiments de haine que les ouvriers conçurent pour les patrons, qui, ne partageant pas leurs souffrances, passaient à leurs yeux pour en être la cause ? Ils allèrent plus loin, ils enveloppèrent dans leur ressentiment les magistrats, les législateurs, et jusqu’aux ministres du culte, qui, disaient-ils, se joignaient à leurs oppresseurs pour prolonger leur détresse et ce ne fut pas l’un des moindres malheurs de ces jours d’agonie que l’abîme creusé par la souffrance et le désespoir entre les différentes classes dont se compose la société ! Moins qu’une autre, peut-être, suis-je capable d’exprimer toute l’horreur du tableau dont j’essaye d’esquisser quelques traits. Mais, sur une terre chrétienne, il a fallu qu’on ignorât complètement ces douleurs pour qu’elles pussent exister ; et si faibles que soient mes paroles, peut-être pourront-elles concourir à faire connaître les maux qu’elles signalent et à réveiller l’attention des puissants et des heureux d’ici-bas[1]. »

Voilà bien la pensée du livre. Mary Barton est un ardent plaidoyer qui revendique, avec énergie,

  1. Mary Barton. Traduction de mademoiselle Morel, p. 57.