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femme distinguée, dont la tendresse lui inspirait une reconnaissance passionnée, mais lui attirait en même temps la jalousie de ses cousines. Leurs railleries, en comprimant l’essor de ses épanchements, la forcèrent à se replier sur elle-même. Elle y gagna ; ses facultés se développèrent par l’étude ; le blâme la mit en garde contre les illusions de la vanité, et s’il lui en resta une défiance d’elle-même qui a pu quelquefois la faire souffrir, son tact en devint plus sûr et plus délicat. À cette époque, elle observait beaucoup et ne dissipait pas : elle amassait pour l’avenir.

En 1832, Miss Stephenson épousait M. Gaskell, ministre dissident, et se fixait à Manchester, vaste fournaise industrielle où les vies se consument à tramer sans relâche les milliards de mètres de coton filé et tissé qui, du produit d’une semaine, enserreraient, dit-on, le monde dans leurs réseaux et leurs plis redoublés. L’esprit droit, le cœur tendre de la jeune femme, ne pouvaient être que péniblement frappés du contraste qu’elle avait sous les yeux. D’un côté, les fortunes immenses acquises dans l’industrie, de l’autre, la longue agonie des populations ouvrières qu’un encombrement de marchandises, ou un arrêt de commandes, condamnent à une inaction forcée et aux horreurs de la misère.

Toute femme de pasteur en Angleterre doit consacrer une partie de sa vie aux relations sociales, aux visites utiles, aux œuvres de propagande qui, en ravivant le zèle de la congrégation, font affluer les offrandes nécessaires à l’entretien du culte. Mrs Gaskell, pratiquant une charité plus large et mieux entendue, n’admettait pas que son temps appartînt à telle ou telle secte ; elle