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Je ramenai Letty près de son baby, sur le berceau duquel, toute la nuit durant, elle pleura. Puis je retournai sur le rivage, du côté de Cartlane ; çà et là, surmontant la fatigue qui ralentissait ma marche au bord des eaux, je jetais inutilement le nom de Gilbert au silence implacable de la vaste plage. Les eaux, en se retirant, ne laissaient, derrière elles, aucun vestige.

Deux jours après, seulement, les flots le jetèrent sur la grève, près de Flukeborough. On retrouva le shandry et la pauvre vieille jument, à demi enfouis sous une dune, dans le voisinage d’Arnside-Knot. Autant qu’on a pu le conjecturer, Gilbert, en essayant de couper les traits, avait laissé tomber son couteau, et perdu par là même toute chance d’échapper à la mort. Du moins, le couteau fut-il retrouvé dans une des fentes du brancard.

Ses amis arrivèrent de Garstang pour assister à ses funérailles. J’aurais bien voulu mener le deuil, mais ce n’était pas mon droit, et il fut impossible d’arranger ainsi les choses ; il n’en est pas moins vrai que, ce deuil, je n’ai pas encore fini de le porter. Lorsque sa sœur vint recueillir les hardes du défunt, je demandai avec insistance quelque chose qui lui eût appartenu. Elle ne voulut me donner aucun de ses vêtements (c’était une bonne ménagère, fort éveillée sur ses intérêts) attendu qu’elle avait des garçons qui, venant à grandir, pourraient fort bien s’accommoder de la défroque de leur oncle. Mais elle me jeta sa Bible, ses petits en ayant déjà une, et le volume étant fort usé. Au total, il lui avait appartenu, et ceci lui donnait un grand prix à mes yeux. C’était un bouquin relié en cuir noir, avec des poches sur chaque garde, comme on les faisait jadis. Dans l’une d’elles était un bouquet, depuis longtemps fané. Letty crut reconnaître une poignée de fleurs sauvages qu’elle lui avait données autrefois.