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pris sa place sur la selle ; des bras de Letty j’entourai mon corps, et je sentis sa tête se poser sur mon épaule. Je me fie à Dieu pour les quelques mots de remercîment que j’ai dû adresser à notre sauveur ; mais je n’en ai gardé aucun souvenir bien net. Je me rappelle seulement que Letty releva la tête, et que s’adressant à lui :

« Dieu vous bénisse, lui dit-elle, Gilbert Dawson, pour avoir empêché que mon baby ne devînt orphelin cette nuit même !… »

Puis elle se laissa tomber contre moi, comme chose inerte et n’ayant plus conscience de son être.

Je la fis passer à travers tout… ou plutôt ce fut le robuste cheval qui fendit du poitrail les vagues sans cesse accrues. Nous étions trempés à tordre quand nous parvînmes à la limite des terres inondées par le flux ; mais nous ne pouvions avoir, nous n’avions effectivement qu’une pensée : Où est Gilbert ? L’épais brouillard, l’eau massive et lourde nous entouraient encore… Où était-il ? Nous criâmes. Si affaiblie qu’elle fût, Letty, forçant sa voix, trouva des sons qui devaient porter au loin… Mais de réponse, point ; la mer roulait toujours son perpétuel tonnerre. Je poussai mon cheval vers la maison du guide. Il était au lit et ne voulut point se lever, bien que je lui offrisse au delà même de ce que j’aurais pu lui donner. Peut-être bien le vieux ladre s’en doutait-il. Je me serais pourtant acquitté, eût-il fallu travailler dur jusqu’à ma mort. Il me permit d’emporter son cor, si cela pouvait me convenir. Je m’emparai de l’instrument, et la terrible sonnerie que j’envoyai parmi les ténèbres immobiles me fut rapportée par l’écho des invisibles espaces ; mais aucun bruit humain ne suivit, aucune voix ne s’éleva dans la nuit ; — cet appel insensé ne pouvait réveiller les morts.