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veau fiévreux. Le brouillard, ce lourd, cet épais brouillard qui s’étendait entre nous et la terre comme un rideau fantastique tiré tout exprès pour nous livrer à la mort, semblait nous apporter le parfum des fleurs rustiques écloses au seuil de notre cottage ; — et pourquoi nous refuser à cette idée ? Pour nous c’était un sombre et fatal linceul ; pour elles une rosée bénie, qui prolongeait leur éphémère existence.

Letty m’a conté, par la suite, qu’à travers le gargouillement sinistre des eaux montantes, elle avait entendu tout aussi nettement qu’aucun autre bruit eût jamais frappé ses oreilles, la plainte de son baby qui l’appelait. Quant à moi, probablement assourdi par la clameur des oiseaux marins et les déchirantes lamentations de notre jeune pourceau, je n’ouïs rien de semblable. Dans tous les cas, il y avait bien des milles entre nous et le berceau de l’enfant.

Juste au moment où j’ouvrais mon couteau, un autre bruit s’éleva près de nous, se mêlant au frémissement des eaux voisines et à la rumeur des vagues lointaines (pas si lointaines, en somme). Nous pouvions à peine voir, mais il nous sembla distinguer une forme noire sur la teinte plombée qu’avaient uniformément revêtu les flots, la brume et le ciel. Cette forme se rapprochait, lentement, constamment, de plus en plus distincte… Enfin nous la vîmes traverser le chenal au bord duquel nous étions arrêtés…

Dieu du ciel !… C’était Gilbert Dawson sur son robuste cheval bai.

Nous fûmes sobres de paroles : le temps manquait à la causerie. Je n’avais, pour le moment, aucune notion du passé ou de l’avenir, — perdu dans le sentiment de la nécessité présente, — et me demandant si je pourrais sauver Letty, puis, au besoin, me sauver moi-même. Tout