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biles. Au second canal, en comptant selon notre itinéraire de ce jour-là, — un guide attend les voyageurs, du lever au coucher du soleil, pendant tout le temps où on peut risquer la traversée ; mais trois heures avant et trois heures après le flux, naturellement, il n’est plus là. Il demeure après le coucher du soleil, s’il est prévenu qu’on aura besoin de lui, mais non pas autrement. Vous voyez maintenant d’ici en quelle passe nous étions, lors de cette terrible soirée. En effet, nous avions franchi deux milles à partir du premier canal ; au-dessus et au-dessous de nous l’obscurité se faisait, et, sauf une ligne pourpre à la crête des hauteurs, tout devenait de plus en plus noir, quand nous arrivâmes à un bas-fond (car, si plats que paraissent les Sables, il y a, par-ci par-là, certains creux d’où le rivage est parfaitement invisible). La traversée de ce bas-fond nous fit perdre bien plus de temps au retour qu’à l’aller, le sable étant beaucoup plus tenace ; et quand nous en fûmes hors, que vîmes-nous si ce n’est, se détachant sur un fond de ténèbres, la ligne blanche de la marée montante, qui justement, se précipitait dans la baie !… Elle ne semblait pas éloignée de plus d’un mille, et quand le vent souffle dans la même direction, elle arrive plus vite qu’un cheval au galop.

« Le Seigneur nous assiste ! » m’écriai-je, et tout aussitôt je me repentis d’avoir laissé mes lèvres prononcer de telles paroles, qui devaient effrayer Letty ; mais la peur les avait fait jaillir, comme malgré moi, de ma poitrine oppressée. Je sentis la pauvre femme, frissonnant à mes côtés, se cramponner désespérément à moi. Et l’odieux petit goret (qui avait fini par s’enrouer et se taire à force d’avoir crié), comme s’il eût eu conscience du danger imminent que nous courions, se prit à pousser des gémissements aigus qui eussent troublé le cœur