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allures, qui avaient changé. Son pas, jadis vif, ferme, sonore, ne frappait plus le sol comme autrefois. Il traînait le pied lourdement. J’avais essayé à plusieurs reprises de lui faire baisser les yeux sous mon regard hautain, mais il m’opposait une physionomie impassible, sérieuse et calme, autre changement en lui survenu. Nos gas ne voulaient plus jouer avec lui. Quand il se vit en passe d’être accueilli avec dédain chaque fois qu’il venait se mêler à leurs jeux, il cessa de paraître soit au cricket, soit aux palets.

Le vieux clerc de paroisse était maintenant la seule personne qui le souffrît en sa compagnie, la seule par conséquent avec laquelle on le vît causer de temps en temps. Ils se lièrent peu à peu assez intimement pour que le vieux Jonas prît le parti de Gilbert. « Après tout, disait-il, l’Évangile lui donne raison… Il ne fait qu’obéir au précepte évangélique. » Mais nous ne prenions pas garde à ces radotages du vieux Jonas, d’autant que le vicaire de la paroisse avait un frère colonel dans l’armée, et nous tenions là une objection triomphante : « Prétendez-vous interpréter l’Évangile mieux que le vicaire ?… Ce serait, comme les révolutionnaires français, mettre la charrette avant les bœufs. Or si le vicaire trouvait coupables les querelles et les batailles, s’il y voyait une transgression de la loi biblique, il n’exalterait pas si fort les victoires dont la nouvelle arrive chaque jour et qui tiennent en branle continuel les cloches de sa chapelle. Puis, s’il était de votre bord, ferait-il tant de cas de mon frère le colonel, qu’il ne perd jamais l’occasion de citer ? »

Une fois que Letty fut ma femme, je cessai d’en vouloir à Gilbert. J’eus même, en quelque sorte, pitié de lui, — tant il était méprisé, honni, foulé aux pieds. Et bien qu’il opposât un front tranquille à tous ces dédains, comme