Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Je ne saurais me battre, parce que je crois mal de se quereller et d’employer la violence. »

Puis il tourna sur lui-même pour se retirer. Le mépris et la haine m’avaient mis si hors de moi, que je lui criai :

« Voyons, mon camarade, il faudrait parler franchement… Tu as peur de te battre ; pourquoi te mettre à l’abri derrière un mensonge ? Le cher bébé de ta bonne maman s’effraye d’un œil au beurre noir ?… Pauvre petit mignon !… Eh bien, soit, on ménagera sa peau, mais pourquoi ment-il ? »

L’assistance se mit à rire ; mais moi, je ne riais point. Il me semblait si étrange, si avilissant, qu’un beau grand jeune homme, robuste et dru comme celui-là, se montrât couard à ce point !…

Avant le coucher du soleil, notre aventure était la fable de tout Lindal. On savait comment j’avais appelé Gilbert en duel, et comment il avait refusé la partie. Les gens qui, du seuil de leur porte, le virent passer ce soir-là, le regardaient gravir la montée qui le ramenait chez lui, comme ils auraient fait pour un singe ou pour un étranger… Pas un ne lui souhaita le bonsoir. On n’avait jamais entendu parler, à Lindal, d’un combat ainsi décliné. Le lendemain, cependant, on s’en exprima plus nettement. Les hommes lui jetaient en passant l’épithète de « lâche » et se détournaient à son approche. Les femmes se contentaient de rire à petit bruit ; quant aux gamins et gamines, ils ne se gênaient pas pour crier à tue-tête : — « Dis donc, l’ami, depuis quand t’es-tu fait quaker ?… Bonjour, Jonathan aux larges bords[1] !… » et vingt autres plaisanteries du même calibre.

  1. Jonathan Brodd-Brim. Allusion à la forme de chapeau qu’affecte spécialement la secte des Amis. N. du T.