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les vertes prairies, les montagnes grises et l’azur éblouissant de la baie Morecambe, placée entre nous et le paysage intérieur dont elle traçait les limites.

Pendant un certain temps nous gardâmes le silence, vivant par les yeux et les oreilles emplies du bourdonnement monotone. Puis Jeremy reprit l’entretien au point même où nous l’avions laissé tomber un quart d’heure plus tôt, soudainement distraits par l’aspect de l’asile ombreux que le hasard offrait à notre fatigue.

« Il faut compter parmi les bénéfices du jour consacré au repos, que nos pensées et nos paroles, au lieu de nous être violemment enlevées par les secousses de la vie et des affaires, se détachent naturellement de nos lèvres sous la bénigne influence du loisir qui nous est fait. Le fruit n’est peut-être ni bien rare, ni bien savoureux ; mais, à tout prendre, il est mûr, et c’est quelque chose.

— Alors, demandai-je, et puisque telle était la question agitée entre nous, comment définirez-vous un héros ? »

Suivit un long silence, et j’avais presque oublié ma question en suivant des yeux la cours d’un gros nuage vers les collines lointaines, lorsque Jeremy se donna la peine de me répondre.

« Selon moi, le héros est un homme qui réalise, au pris de n’importe quel sacrifice, le plus haut idéal du devoir, tel qu’il le conçoit. Il me semble que cette définition, dans son ampleur, comprend toutes les variétés de l’humain héroïsme, voire ces personnages primitifs qui mettaient leurs prouesses personnelles au-dessus de toute autre grandeur, et payaient à coups de massue leur dette sociale.

— Vous iriez donc, demandai-je encore, jusqu’à reconnaître l’héroïsme du soldat ?

— Sans doute, mais avec une sorte de pitié pour celui