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La vérité apparut au juge, comme un jet de lumière soudaine. Il cacha sa tête dans ses mains et, pendant une minute ou deux, resta perdu dans ses réflexions. Puis sans lever les yeux, avec un organe dont l’émotion atténuait le timbre sonore.

« C’est donc là, murmura-t-il, cette honte dont vous me parliez naguère ?

— Oui, » dit-elle.

Un profond silence s’établit entre eux : il permit d’entendre, à travers les portes volantes qui les séparaient de la salle à manger, une voix perçante, impérieuse, qui enjoignait aux domestiques de remporter le déjeuner de monsieur.

« Qu’on le tienne chaud, ajouta la voix, s’élevant de plus en plus avec une intention marquée. On ne comprend guère l’importunité de certaines gens… Ignore-t-on que le juge reçoit les plaideurs à heure fixe ? Faut-il qu’on vienne le relancer ainsi jusque dans son intérieur ? »

M. Corbet se leva vivement et passa dans la salle à manger. Évidemment il avait quelque peine à réprimer l’irritation de son altière moitié. À son retour, Ellenor lui dit :

« Il me semble que j’ai eu tort de venir à cette heure.

— Allons donc, vous n’y songez pas, » répliqua le juge avec un reste d’impatience contenue. Puis il reprit le siège qu’il venait de quitter.

« Je crois, continua-t-il, que j’ai deviné. Laissez-moi donc abréger, autant que possible, votre supplice… Le meurtrier, c’est votre père. Dixon a connu le crime et n’a point voulu en trahir l’auteur.

— À part ce mot de crime qui ne saurait s’appliquer à un acte irréfléchi, à l’élan d’une irritation longtemps comprimée, vos conjectures sont justes.