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de camélias, et les galants touristes n’avaient aucune peine à se procurer, pour les belles dames du Corro, des fleurs infiniment plus rares. Les ambassades occupaient leurs balcons, loués comme à l’ordinaire. Les attachés de la mission russe envoyaient de jolies babioles à toute jeune fille un peu bien — ou supposée telle, — qui venait à défiler lentement dans sa voiture, méconnaissable sous son domino blanc, et portant un masque garni de fil de fer, pour protéger son visage contre les confetti, ces dragées de plâtre qui, parties de toutes les fenêtres, l’auraient sans cela complètement aveuglée et défigurée. Mistress Forbes, en anglaise riche et qui se respecte, s’était assuré un large balcon au premier étage. Ses filles avaient à leurs pieds un grand panier rempli de bouquets, dont elles bombardaient ceux de leurs amis qui, perdus dans la foule, venaient à passer sous leurs fenêtres. Une provision de moccoletti attendaient, sur une table placée en arrière, le moment où s’allumerait à la fois cette multitude de flambeaux que chacun se donne la joyeuse mission d’éteindre par tous les moyens imaginables. La foule était à l’apogée de sa tumultueuse gaieté, sauf toutefois les graves contadini, dont l’attitude solennelle faisait penser aux sénateurs leurs ancêtres, attendant sur leur chaise curule les soldats guidés par Brennus. On ne voyait de tous côtés que visages masqués et dominos blancs, nobles étrangers confondus avec la canaille locale, pluie de fleurs déjà flétries, cris de joie qui menaçaient de se changer en cris de fureur ; les misses Forbes venaient de céder pour un moment leurs places à leur mère et à Ellenor, que ce spectacle amusait beaucoup et ne laissait pas d’alarmer un peu, quand un visage connu leur apparut, celui du chanoine Livingstone, dont la voix familière à leurs oreilles leur fit entendre le salam britannique.