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qu’une seule parole sortît de ses lèvres tremblantes. Puis, ce qui ne lui était jamais arrivé, la pauvre enfant perdit complètement connaissance. Au sortir de son évanouissement, dominée par une fièvre qui ne la quitta pas de vingt-quatre heures, elle n’était pas reconnaissable. Sa douceur, sa docilité avaient fait place un invincible esprit de rébellion. Elle voulut (et les instances, les supplications de miss Monro ne purent la faire renoncer à ce projet insensé), elle voulut assister à la cérémonie qui scellait à jamais sa destinée. Elle y assista effectivement, invisible sous une espèce de capuchon noir qui lui donnait un faux air de religieuse ; et personne ne put deviner que derrière un pilier de la cathédrale, cachant humblement sa douleur muette, s’agenouillait une femme dont l’espoir suprême avait été de se voir conduite à l’autel par ce même fiancé, qui maintenant contemplait avec tendresse la brillante fée aux voiles blancs, à la couronne de fleurs, autour de laquelle planait, comme une auréole, l’admiration de la foule émue.

Il ne faudrait pas croire que l’attention publique fût uniquement concentrée sur miss Beauchamp. La renommée de M. Corbet comme jurisconsulte de premier ordre, le bruit que certains de ses plaidoyers avaient fait, la nouvelle assez répandue qu’il devait, à la prochaine vacance, être investi d’un siége de juge, désignaient aux regards d’un chacun, nonobstant ses cheveux gris, cet homme déjà mûr et dont la gravité singulière contrastait si fort avec l’éclat de sa belle fiancée, la jeunesse et l’entrain des cousines qui lui faisaient escorte. Les perceptions d’Ellenor, en face de ce tableau mouvant, étaient atténuées par une sorte de brouillard qui le lui dérobait à moitié. D’ailleurs elle assistait avec une sorte de recueillement à ces funérailles de sa jeunesse : elle ne savait y voir qu’une épreuve passagère, une ère de transition pénible,