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tables, des fauteuils artistement sculptés dont la magnificence incongrue y formerait une disparate choquante. Mais, en ceci comme en beaucoup d’autres choses, l’honnête institutrice méconnaît les secrets mobiles qui ont fait agir Ellenor. Celle-ci n’a obéi qu’au sentiment de sa propre conservation. Hantée par d’obstinés souvenirs qui usent sa vie et parmi lesquels sa raison est parfois menacée d’un complet naufrage, un instinct sauveur la poussait à éloigner d’elle tout ce qui pouvait leur servir d’occasion, et, pour ainsi dire d’aliment. Elle y a cédé, comprenant bien que pour continuer de vivre, pour échapper aux obsessions de la folie, il fallait avant tout se faire une existence affranchie de tout passé, libre de toute évocation fantastique. À cette époque, sa douleur n’avait rien que de passif. Une défensive inerte, engourdie usait tout ce qu’elle avait de forces. Elle ne pleurait point, elle parlait à peine, et les dernières larmes qu’elle eut versées en quittant Ford-Bank avaient été l’expression d’une sorte de soulagement plutôt que celle d’un regret attendri.

De sa chambre, qui donnait sur le jardinet du cottage et, par delà les murs de clôture, sur l’ensemble de l’enclos presbytéral, elle contemplait assidûment la vaste cathédrale normande, sa tour basse qui semble s’affaisser sous son propre poids, sa nef majestueuse, et son chœur amplement garni de tombes historiques. Le calme de la ville, étrangère à toute espèce de tumulte, laissait arriver jusqu’à elle, à des heures marquées, les chants, les hymnes qui filtrent perpétuellement au dehors, à travers les croisées en ogive et les viraux de couleur. Bientôt ce spectacle imposant et monotone, ces émanations religieuses l’enveloppèrent sans qu’elle en eût conscience. Elle devint assidue aux services du matin et du soir. Son âme fatiguée reposait dans les longues méditations et dans le calme