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sommeil, déplorait-il toutes les circonstances qui l’avaient rapproché d’Ellenor ; mais, quand il descendait le matin, encore tout fiévreux, et que sa pâle fiancée venait, avec une grâce touchante, passer dans sa boutonnière la fleur fraîchement cueillie à son intention, il sentait tout ce qu’il avait de meilleur en lui se révolter contre les tentations de l’esprit nocturne, et il lui semblait impossible d’agir autrement qu’en honnête homme, en bon et loyal fiancé.

Par malheur, à mesure que le jour avançait, la tentation devenait plus forte. M. Wilkins se montrait, et aussitôt Ellenor, assidue auprès de son père, semblait oublier maître Ralph. Celui-ci se choquait alors de mille détails vulgaires, sur lesquels, plus réellement épris, il eût très-facilement passé. Il lui était odieux d’entendre le maître de la maison récriminer, en grondant, contre l’insipidité des plats qui ne réveillaient point son palais blasé par les excès de la veille. Au lieu de ces causeries animées parmi lesquelles se perd la question du boire et du manger, il subissait de fastidieux détails de cuisine et assistait à d’impatientants débats qui mettaient à nu, devant lui, les petites misères de l’économie domestique. Avant la fin de ces tristes déjeuners, Ellenor avait pris l’aspect fatigué d’une femme de trente ans, et c’en était fait, pour toute la journée, de sa vivacité première. D’ailleurs, maintenant que les mille riens de l’amour heureux n’alimentaient plus leurs entretiens, de quoi causer avec elle ? Les livres nouveaux, elle ne les connaissait point, ni les récentes productions de l’art, ni les menus détails qui composent la vie du monde. Restaient ses occupations journalières, ses soucis de maîtresse de maison, ou bien encore les charités dont elle s’occupait avec zèle. Si encore elle eût été capable de discuter éloquemment les nombreuses questions qui se rattachent à la situation du