Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/234

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce fut dans cette disposition d’esprit que le trouvèrent les vacances de Pâques. Il alla d’abord, selon sa coutume et son devoir, passer quelques jours dans sa famille. Là, mille tiraillements, mille ennuis domestiques lui firent penser avec moins d’effroi qu’on l’attendait à Ford-Bank. Ellenor, avec ce tact particulier que l’amour développe si vite chez la femme, s’était aperçue des menus détails qui choquaient par moments les instincts et les goûts naturellement raffinés de son prétendu. Autant dire qu’elle cherchait à y porter remède, mais pour la première fois de sa vie, elle se heurtait à un obstacle inattendu, le manque d’argent. Habituée par miss Monro à ne laisser aucune dette en souffrance, elle était souvent à court, même vis-à-vis des domestiques, et l’achat des graines destinées à renouveler le parterre fut, cette année-là, une occasion l’incertitude, presque de remords.

En même temps semblaient s’aggraver les tristesses, les secrètes anxiétés qui troublaient l’humeur de son père. Plus que jamais il évitait de se trouver seul avec elle. Aussi ne recouvrait-elle, minée par la conscience de l’espèce de complicité qui mettait entre eux une barrière invisible, ni sa gaieté, ni sa fraîcheur d’autrefois. — « Pauvre miss Wilkins, disaient en hochant la tête les gens qui venaient à sa rencontre… Avant cette fièvre, qu’elle était jolie !… »

La jeunesse pourtant reste la jeunesse, et possède un ressort que rien ne saurait détruire. Bien souvent, Ellenor, réagissant contre sa mélancolie habituelle, ne voyait plus dans le meurtre de Dunster qu’un homicide purement fortuit, et par conséquent excusable. Elle aurait voulu amener son père à cette conviction rassurante, mais il fallait aborder ce sujet, et il témoignait assez qu’il éprouvait une invincible répugnance à laisser évoquer un si tragique souvenir. Jamais, il est vrai, il ne lui avait parlé