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aux menaces de l’avenir et se laissait aller, sans vouloir l’atténuer par le moindre doute, au sentiment de sa félicité actuelle. Elle aurait pu constater chez son prétendu moins d’expansion et de gaieté qu’il n’en avait montré jusque-là : mais M. Corbet n’avait habituellement rien d’évaporé. Grave, réservé, silencieux par nature, il ne prêtait guère à ce genre d’observations et pouvait, sans qu’on s’en aperçût, se renfermer en lui-même.

Il annonça, peu de jours après, le mariage prochain de son frère, hâté par quelque événement survenu dans la famille du Duc. Les Corbet lui donnaient rendez-vous à jour fixe pour l’emmener à Stokely-Castle. Il avait des actes, des contrats à examiner, à signer. Bref, il fallait partir sans retard. Peut-être n’eût-il pas donné tant de bonnes raisons sans l’espèce de contrainte où il vivait à Ford-Bank, et le secret plaisir qu’il éprouvait à quitter, au moins pour un temps, ce séjour dont la confidence d’Ellenor semblait avoir détruit le charme. Instinctivement, il se sentait là sous une influence contraire à ses intérêts bien compris. La présence continuelle d’Ellenor, l’attraction qui le tenait assidu près d’elle, gênaient en quelque sorte la liberté de ses calculs. À distance, il apprécierait mieux la situation et les remèdes qu’elle pourrait comporter.

M. Wilkins voyait aussi sans trop de peine s’éloigner son futur gendre, dont la gravité vigilante le déconcertait par moments. Ellenor n’était pas assez complétement remise pour qu’on pût songer à la marier : d’ailleurs, et s’il en eût été autrement, la dot promise aurait peut-être fait défaut. Puis il était contrariant d’avoir chez soi, constamment, la nuit comme le jour, un observateur assidu, un impitoyable flâneur qui hantait parterres et jardins, furetait dans les moindres cours, questionnait à droite et à gauche, et pouvait se croire le droit de se