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rapide déclin. Je sentais au fond de mon cœur qu’elle en mourrait, et j’obtins son rappel ; elle n’avait passé que trois mois à la pension. Sa nature n’était pas à la hauteur de son courage. »

Revenue au nid, Émilie se sentit revivre ; elle reprit ses promenades solitaires ; l’air vif de ses collines natales lui redonna des forces ; Charlotte l’avait sauvée. Aux vacances toute la famille se trouva réunie : c’était l’heureux temps des projets et des rêves, mais les jours passèrent comme des heures et il fallut se séparer de nouveau. On décida qu’Émilie, qui ne supportait pas l’exil, resterait près du père et de la tante, tandis qu’Anne et Charlotte iraient reprendre leur chaîne : et quelle lourde chaîne pour des esprits indépendants, sensitifs jusqu’à la souffrance !

Vers cette époque Miss Bronté écrivait à une amie :

« Une misérable susceptibilité me fait tressaillir à la moindre atteinte du ridicule comme au contact d’un fer rouge. Ce qui passerait inaperçu pour d’autres entre dans mon âme et l’envenime. Je sais que c’est absurde et m’efforce de le cacher, mais l’aiguillon ne s’enfonce en secret que plus avant dans les chairs. »

Qu’on juge de ce qu’elle avait à souffrir avec cette disposition dans l’emploi de gouvernante, demi-bonne d’enfants, demi-institutrice, en Angleterre, où la morgue de la richesse établit entre celui qui paye et celui qui reçoit une ligne de démarcation infranchissable. En l’absence des parents qui allaient en partie de plaisir, on lui avait confié un petit garçon de quatre ans, avec l’injonction de ne pas le laisser approcher de la cour des écuries. Le frère aîné plus âgé, plus mutin et affran-