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s’abstraire dans l’heure présente ; comme ils longeaient lentement les champs où les blés d’or ondulaient encore, attendant la faucille, Ralph lui cueillit en riant un bouquet de bluets et de coquelicots, qu’elle prit de ses mains pour le passer à sa ceinture. Un vague sourire, à ce moment, errait sur ses lèvres.

Une fois dans le banc de famille, situé sur un des côtés de la nef, elle avait en face d’elle, dans la galerie supérieure, le compartiment réservé aux domestiques de Ford-Bank, placés ainsi, de temps immémorial, sous l’œil de leurs maîtres. Ellenor, déterminée à ne point écouter ce qui pouvait raviver en elle le ressentiment d’une blessure à peine close, et promenant machinalement son regard autour d’elle, aperçut en haut le visage de Dixon, plus triste, plus macéré, plus sombre que jamais. Il écoutait, lui, de toutes ses forces, cherchant une consolation dans les solennelles promesses de clémence que le prédicateur faisait entendre. Sa jeune maîtresse se sentit humiliée et punie par ce contraste frappant. Aussi sortit-elle du temple dans une extrême agitation. Elle voulait remplir son devoir ; mais ce devoir, quel était-il ? À qui s’adresser pour que la droite route lui fût montrée ? À celui-là, sans doute, qu’elle allait rendre l’arbitre de son avenir ? Mais, à celui-là même, la piété filiale lui interdirait de tout dire. Il fallait donc prendre quelque détour et personne ne possédait moins que cette loyale enfant l’art des réticences calculées, des hypothèses obscures, des énigmes insolubles. Elle entra cependant en matière, aussitôt qu’elle se trouva seule avec lui, foulant aux pieds l’herbe odorante des vastes prairies : « Ralph, lui dit-elle, affectant une sorte de gaieté, j’aurais à vous soumettre un cas de conscience… Supposez une jeune fille sur le point de se marier…

— Supposition facile, quand je vous ai à mon bras,