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futur beau-père. En revanche il le trouva, pendant et après le repas, plus causeur que jamais. Il est vrai que cette exubérance de paroles, cette verve brillante, objets d’envie pour le futur avocat, perdirent beaucoup à ses yeux lorsqu’il put les attribuer aux trop fréquentes rasades que Fletcher versait à son maître, et que celui-ci absorbait aussitôt, avec le sang-froid d’un buveur émérite. Elles ne firent longtemps que l’animer et servir de stimulant à ses étincelantes divagations, mais peu à peu le désordre se mit dans ses idées, et l’incohérence de ses propos révolta son bénévole auditeur. Aussi, désirant cacher le dégoût qui succédait à son admiration, il se leva pour aller rejoindre les deux dames du logis, dans la bibliothèque où elles s’étaient retirées. Wilkins l’y suivit, riant et plaisantant à grand bruit. — Ellenor avait-elle conscience de d’état où son père s’était mis ? — M. Corbet se posa cette question sans pouvoir l, résoudre avec assurance. Le regard triste et sérieux qu’elle dirigea sur les deux convives, au moment où ils rentraient auprès d’elle, n’exprimait ni surprise, ni contrariété, ni honte quelconque. Ce regard, à la vérité, produisit immédiatement sur l’attorney l’effet d’un puissant réactif. Il s’assit près de la fenêtre, et n’ouvrit plus la bouche que pour laisser échapper, de temps à autre, un profond soupir. Miss Monro prit un livre pour laisser aux jeunes gens la liberté d’une sorte de tête-à-tête, et après quelques propos à voix basse, Ellenor alla s’apprêter pour une promenade qu’ils venaient de concerter.

Cette excursion dans les prairies situées au bord de l’eau, fut assez triste et contrainte, malgré les splendeurs de la soirée, la grâce champêtre des tableaux qui s’offraient à leurs regards. On parla peu, Ellenor, épuisée par la marche, était forcée de faire halte à chaque instant. Son prétendu s’absorbait malgré lui dans les ré-