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trice, si opposé à leur nature. Privées des caresses et des soins maternels, n’ayant jamais eu le vif essor de l’enfance, elles ne pouvaient la comprendre ni sympathiser avec elle. Charlotte, qui devait être plus tard un auteur célèbre et qui cherchait déjà sa voie, fit le dur apprentissage de la servitude dans une famille riche et commune, où, après les fatigantes occupations de la journée, on exigeait d’elle, le soir, comme tâche, des travaux à l’aiguille. Un profond sentiment du devoir, le désir d’alléger au père des charges nombreuses, et d’ajouter au bien-être des plus jeunes enfants restés au logis, la soutinrent dans cette pénible carrière, que les maladies, suite du manque d’air et d’exercice, la forcèrent plusieurs fois d’interrompre : pauvre alouette qui se meurtrissait aux barreaux de sa cage ! Mais elle souffrait surtout pour Émilie, sa sœur chérie, — son tendre amour, comme elle l’appelle. « Émilie aimait nos landes ; des fleurs plus brillantes que la rose s’ouvraient pour elle dans nos noires bruyères. D’un creux béant au flanc livide de la colline, elle eût fait un Éden. Elle trouvait dans la solitude ses plus chères délices, et ce qu’elle préférait à tout, — la liberté. La liberté était son souffle et sa vie ; elle eût péri sans elle. L’échange du tranquille presbytère contre une pension bruyante, de la vie silencieuse, retirée, mais sans joug, contre la discipline routinière des classes, dépassait ses forces. Des visions de la maison paternelle et du site familier l’agitaient la nuit, attristaient son réveil. Personne que moi ne savait ce qu’elle souffrait. Je le savais trop bien. Sa santé déclinait dans la lutte. Sa blanche figure, sa taille amaigrie, ses forces défaillantes présageaient un