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journée, miss Monro voulait lui aller chercher un bouillon.

« Ne bougez pas ! s’écria tout à coup M. Wilkins ; je vais sonner, Fletcher apportera ce qu’il faut… »

Il craignait, hélas, de rester seul avec sa fille, et celle-ci ne redoutait pas moins ce pénible tête à tête. Elle notait dans la voix de son père une singulière altération. Il ne parlait plus que par saccades et avec une contrainte évidente. Ses moindres gestes semblaient de parti pris. Il calculait une à une toutes ses phrases, en garde contre la plus légère imprudence. Ellenor devinait sous chaque réticence, sous chaque intonation affectée, le sens et la portée qu’il leur attribuait. Or elle n’avait pas prévu, au moment critique, ce mensonge, cette fraude auxquels ils allaient être condamnés ; mensonge de chaque minute, fraude permanente, hypocrisie infatigable et portant un masque a demeure. Maintenant qu’elle voyait son père désireux de la quitter et cherchant un prétexte pour s’éloigner sans donner prise aux remarques par une démarche si simple, elle comprit qu’ils allaient être désormais l’un à l’autre un perpétuel embarras, une occasion de gêne mutuelle. La présence de miss Monro leur devenait un soulagement. Un tiers quelconque, étranger à leur fatal secret, les mettrait désormais à l’aise. Et cependant, alors même que la dissimulation paternelle lui répugnait le plus, — alors qu’elle rougissait, bouleversée en face de ces honteux déguisements indispensables à sa sécurité, — la pauvre enfant ne pouvait se défendre d’une profonde commisération, en voyant peu à peu se flétrir la jeunesse longtemps conservée de cet homme jusque-là si vigoureux et de si belle apparence. Ses cheveux déjà grisonnants semblaient avoir pris une teinte plus argentée depuis la nuit fatale. Sa taille s’était voûtée. Il marchait les yeux à terre, avec une allure intimidée. Mais ce