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Cette enfance hâtive, sans expansion, sans gaieté, sans échange, développa des esprits exceptionnels, méditatifs, se créant une vie imaginaire pour animer leur solitude, des personnages pour la peupler. C’était une serre chaude à romanciers excentriques : il en sortit deux, Charlotte et Émilie ; les quatre autres étaient tous plus ou moins poëtes.

Dans cette famille Bronté, si richement pourvue des dons de l’intelligence, où chaque physionomie avait son accent, son empreinte originale, le fils l’emportait. Il avait une verve singulière, une intarissable facilité d’improvisation ; poëte à ses heures, conteur charmant, tout jeune il était renommé pour dissiper la tristesse et chasser l’ennui. Un étranger mélancolique s’égarait-il dans les landes sauvages de Haworth, le maître de l’auberge envoyait chercher Branwell Bronté pour faire à son hôte joyeuse compagnie. Il n’y avait pas de bonne fête sans lui. Cette popularité, en lui donnant une haute idée de ses facultés, l’habitua aux adulations du vulgaire. Il n’en était pas moins l’orgueil de son père et de ses sœurs. Loin de lui porter envie, tous saluaient son génie précoce. Comme un autre Joseph, il voyait s’incliner devant sa gerbe celles du champ paternel. Mais ses visions, à lui, étaient d’habiter la grande ville (Londres), de s’y essayer à la poésie, à la peinture ; il dessinait avec une extrême facilité : il rêvait de devenir élève de l’Académie royale. Malheureusement, les ressources bornées du pasteur s’opposaient à ces aspirations ambitieuses. Déjà les filles aînées, Charlotte et Émilie, toutes deux délicates, d’habitudes sédentaires et concentrées, avaient accepté le joug pesant d’institu-