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trop bonne heure : mais je quitte Hamley d’ici à une demi-heure… et j’ai cru… Grands dieux, miss Wilkins, qu’ai-je donc fait ? »

Cette dernière exclamation était motivée par un geste désespéré d’Ellenor, qui venait de s’affaisser sur le siège le plus proche, comme écrasée sous le poids de ses terribles souvenirs. M. Livingstone, qui s’attribuait cet accablement singulier, eut un moment la pensée de la relever, de la prendre sur son cœur, de la consoler, mais il la vit, au premier mouvement, se redresser par un surprenant effort d’énergie, et, debout en face de lui, attendre ce qu’il avait encore à dire. Plus décontenancé que jamais, il ne trouva plus une parole, et la jeune fille eut à reprendre le discours interrompu. « J’ai reçu votre lettre, lui dit-elle avec effort… Je désirais me rencontrer aujourd’hui avec vous, M. Livingstone, pour vous empêcher de voir mon père et de lui parler… Sans m’expliquer cette affection subite que vous dites éprouver pour moi, pour moi que vous ne connaissez point, et après une seule entrevue… j’ai à vous demander l’oubli complet d’un sentiment que j’envisage comme une folie… »

En ce moment, elle s’exprimait avec l’aplomb quelque peu dédaigneux d’une femme beaucoup plus âgée, beaucoup plus expérimentée que son interlocuteur. Cette affectation de supériorité la lui fit croire hautaine, alors qu’elle était simplement désolée : « Vous vous trompez, répliqua-t-il aussitôt avec plus de dignité que sa conduite un peu hasardée n’en aurait dû faire prévoir, ma présomption peut vous paraître excessive, mais je ne crois pas qu’elle mérite le nom de folie. Telles circonstances peuvent se rencontrer, qui justifient un honnête homme de s’éprendre ainsi, à première vue, lorsqu’il trouve réunis tous les charmes, toutes les qualités qu’il avait rêvées. Ma folie n’est donc point où vous la voyez ;