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parole lui coûtant un effet convulsif, articula-t-il, par saccades, les phrases suivantes : « Il me bravait… Son insolence m’a poussé à bout… Je n’ai pu me contenir… J’ai frappé… comment, je ne sais… Il faut qu’en tombant, la tête ait porté… Grand Dieu ! quand je pense qu’il y a une heure, le sang de cet homme ne pesait pas sur ma conscience !… » À ces mots, il cacha sa tête dans ses mains, avec un éclat de désespoir auquel personne ne pouvait se méprendre.

Ellenor se tourna vers Dixon : « Un médecin ?… lui dit-elle, sans compléter sa question, que son interlocuteur comprit de reste. — À quoi bon ? répondit-il, jetant un regard oblique vers son maître que cette simple insinuation semblait avoir glacé de terreur. Je ne vois pas quels services un médecin pourrait nous rendre… Ouvrir une veine, tout au plus, et cela je puis le faire tout aussi bien que pas un d’eux… Si seulement j’avais ma flamme[1] sur moi !… » Tout en parlant il fouillait ses poches, d’où il retira presque aussitôt l’instrument qu’il venait de nommer. Il le sortit de son étui, le passa sur son doigt, et en essaya le tranchant. Ellenor, cependant, essayait de mettre à nu le bras du cadavre, mais le cœur lui manqua bientôt, et son père se hâta de la remplacer, malgré le tremblement nerveux qui gênait l’action de ses mains. En toute autre circonstance, ni l’un ni l’autre n’eût voulu confier une pareille opération à un praticien aussi peu expérimenté que Dixon : mais qu’il eût travaillé sur une veine ou sur une artère, la chose en soi était indifférente, car le sang ne jaillit point ; à peine quelques sérosités se firent-elles jour sur le parcours de l’acier. Le mort fut replacé sur sa couchette improvisée. Dixon

  1. La flamme est la lancette dont les vétérinaires se servent pour tirer du sang aux bestiaux.