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pénétrer quelques gouttes entre les dents serrées de cet homme qu’elle supposait simplement évanoui. La tentative avorta complétement. Alors elle imbiba son mouchoir du même liquide, et le passa sur les lèvres froides et pâlies… Tout cela vainement : l’homme était bien mort, — tué, nous dirons bientôt comment, par la rupture d’un vaisseau cérébral. Tout ce que la pauvre Ellenor venait d’essayer sans succès, son père, avant elle, y avait eu recours. Le précieux souffle de la vie, une fois exhalé, n’a jamais été rendu à qui que ce soit. Pourtant le regard fixe de ces yeux grands ouverts devint insupportable à la pauvre jeune fille, qui doucement, d’une main timide, presque caressante, essaya d’abaisser leurs paupières, sans se rendre parfaitement compte qu’elle acquittait ainsi les derniers devoirs de la piété humaine envers un être aimé.

Encore assise sur le parquet, à côté du corps, elle entendit des pas qui se rapprochaient avec hâte et précaution, le long du verger. Ce pouvaient être des voleurs, voire des assassins, et pourtant elle n’éprouva pas la moindre crainte. Cette heure solennelle l’avait enlevée dans une sphère supérieure à toute terreur, bien qu’elle fût hors d’état d’arriver, par le raisonnement, à cette conviction que les pas en question étaient bien les mêmes qu’elle avait entendus, un quart d’heure auparavant, dans la chambre à coucher contigüe à la sienne.

Son père entra, et fit aussitôt deux pas en arrière, — par un brusque mouvement de recul, renversant presque un autre homme qu’il avait pour ainsi dire sur les talons, — quand il vit Ellenor immobile à côté du cadavre.

« Pour Dieu, mon enfant, s’écria-t-il avec une sorte de colère, comment vous trouvez-vous ici ? »

Elle lui répondit avec une sorte de stupeur : — Je n’en sais rien… Est-il mort ?