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horreur elle aperçut, la minute d’après, les deux pieds d’un homme qui devait être étendu sur le tapis, derrière la table massive placée entre elle et lui. Attirée comme en dépit d’elle-même, et malgré la répugnance qui l’en éloignait, elle fit le tour de cette table, pour s’expliquer l’immobilité de ce personnage que son arrivée soudaine dérangeait si peu.

C’était M. Dunster : sa tête, étayée par les coussins de plusieurs fauteuils, restait renversée en arrière. Ses yeux étaient grands ouverts, avec une expression d’effarement, et une fixité redoutable. Une forte odeur d’eau-de-vie et de corne brûlée régnait dans l’appartement, nonobstant le courant d’air établi entre les deux portes ouvertes.

Jamais Ellenor n’a pu expliquer au juste les mobiles qui, dès ce moment, et pendant le reste de cette nuit effrayante, la firent agir et parler. En y repensant depuis, — en consultant sa mémoire hantée par des souvenirs qui la faisaient frissonner et qui pourtant s’imposaient à elle, — la malheureuse enfant en était venue à croire que l’eau-de-vie répandue à flots sur le tapis l’enivra littéralement de ses émanations alcooliques. Soit par cette raison, soit par toute autre, elle se sentit une présence d’esprit, un courage que rien ne l’autorisait à s’attribuer. Et bien, que les événements se fussent chargés de lui apprendre qu’elle avait agi contrairement aux inspirations de la prudence — sinon tout à fait mal, et de manière à mériter, un blâme sévère, — encore est-il qu’elle s’étonnait de s’être ainsi conduite.

Son premier mouvement fut de se soustraire, en se retirant, à ce fixe regard qu’elle ne pouvait endurer. Puis elle alla fermer, sans faire de bruit, la porte de l’escalier, la porte qui lui avait livré passage. Elle revint ensuite, et, de nouveau regarda,… puis, s’emparant du flacon de liqueur, elle s’agenouilla pour essayer d’en faire