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retira dans sa chambre pour y relire, pour y commenter tout à son aise, cette lettre qui avait à ses yeux la valeur du blâme le plus sanglant. Qu’avait-elle pu dire ou faire pour justifier une démarche aussi abrupte, aussi peu ménagée ? En cherchant à se remémorer les moindres détails de la soirée précédente, elle se sentit prise d’un fort mal de tête, qui lui rendait la lumière importune et bientôt après souffla sa bougie. Puis, assise sur l’appui de sa fenêtre ouverte, et contemplant le jardin inondé des clartés de la lune, elle guetta le retour de son père qu’elle se proposait d’appeler près d’elle sans bruit quand il passerait à portée de voix. Peu d’instant après, elle entendit ouvrir la porte de communication entre la tour des écuries et le verger, puis elle distingua parmi les arbustes M. Wilkins qui, par un hasard contrariant, ne rentrait pas seul. M. Dunster était avec lui, et l’animation de leurs voix semblait indiquer qu’une discussion assez vive s’était engagée entre eux. Au surplus, dès qu’ils eurent pénétré dans le cabinet de M. Wilkins, le bruit de ce colloque cessa d’arriver aux oreilles de la jeune fille.

Ce n’était pas précisément pour la première fois que M. Dunster venait ainsi à une heure avancée, relancer chez lui son associé. Ellenor n’avait jamais cherché à se rendre compte de ces visites tardives, et surtout ne s’était jamais avisée qu’elles coïncidaient invariablement avec les occasions, trop fréquentes depuis quelque temps, où M. Wilkins se dispensait pendant toute la journée de se montrer au bureau. Elle savait seulement que ces obsessions intempestives, motivées par quelque affaire urgente, agaçaient, impatientaient le malheureux attorney, et rien au monde dès lors ne pouvait les lui rendre agréables. Ce soir-là, surtout, où elle désirait vivement causer tête à tête avec son père, combien pareil contre-temps dut lui