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la nue-propriété se trouvait assurée à Ralph. Cette somme serait productive d’intérêts à un taux élevé, que M. Corbet père, en les prenant sur les revenus de la terre ainsi mise en valeur, ou bien sur le produit de ses biens propres, verserait chaque année aux futurs époux, ce qui leur garantissait un revenu très-suffisant pour leur entrée en ménage. Cet emploi de la dot d’Ellenor, devant accroître la valeur de l’immeuble sur lequel était imputée son hypothèque dotale, constituait une combinaison si évidemment favorable, que M. Wilkins, sensible à la loyauté d’un procédé pareil, fut tenté d’accéder sans plus d’hésitation à la demande qui lui était faite. Il s’imposait, il est vrai, un sacrifice considérable, mais ce sacrifice lui était demandé chaque jour par sa conscience alarmée, depuis qu’il voyait sa fille s’étioler et se consumer auprès de lui, dans une attente silencieuse, une angoisse de plus en plus poignante. Il ébaucha donc à la hâte quelques calculs sommaires, et s’étant démontré à lui-même que la somme requise se trouvait disponible entre ses mains, écrivit une lettre par laquelle il donnait les mains à l’arrangement proposé. Puis il appela Ellenor dans son cabinet, et avant de cacheter cette importante missive, la pria d’en prendre connaissance. Ce fut pour lui un vif plaisir, et une douleur sensible, que de la contempler pendant cette lecture, de voir le frémissement de ses lèvres émues, l’éclat soudain que reprenaient ses joues décolorées, et lorsque, sans achever la lettre, elle se jeta dans ses bras avec mille caresses émues, — les seuls remercîments qu’elle se sentit en état de lui adresser, — il ne put se défendre d’un sentiment d’amertume en songeant à l’espèce d’ingratitude qui faisait le fond de cette reconnaissance passionnée : « Cher père, lui disait Ellenor, je vous ai cru fâché contre nous : mais au fait, ne sommes-nous pas trop exigeants ?…