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Lady Ludlow[1], est le pendant de Cranford. C’est de même un tableau de demi-teintes, aussi fin, aussi suave, d’un goût plus châtié : un véritable Chardin. Retirée dans le vieux manoir gothique de ses aïeux, l’héritière d’un grand nom a recueilli chez elle des orphelines et des filles bien nées dont les parents pauvres, surchargés d’enfants, sont heureux de les confier aux soins de milady. Elle en est entourée comme d’une cour qui n’a rien de servile, car la souveraine est aimée. Une de ces jeunes filles, qu’un accident a rendue boiteuse, observe de sa chaise longue les personnages, et les dessine d’une main ferme et sûre : rien n’est analysé, tout est senti, agi, parlé. On vit au château de Hanbury, dans ce paisible intérieur, où ne pénètre pas l’ennui, où règne sans partage cette aimable Lady Ludlow, si vive dans ses préjugés nobiliaires, si amusante, dans ses passes contre l’esprit moderne, mais si prompte à réparer une injustice, à confesser un tort. C’est la vieille aristocratie anglaise, après 89, aux prises avec le progrès, ayant en horreur l’enseignement populaire, maintenant les anciennes traditions de suzeraineté, moins par orgueil que par devoir, comme le legs sacré d’ancêtres révérés, et se défendant avec vigueur contre les empiétements de l’esprit révolutionnaire, subversif de toute autorité légitime.

Un jeune pasteur méthodiste, plein de zèle et dont les convictions dans les heureux résultats du mouvement, ne sont pas moins arrêtées que celles de milady, oppose ses idées au despotisme de la châtelaine ; despo-

  1. Charmante nouvelle du volume intitulé : Autour du sofa, traduction de Mme  Loreau.