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représentent un intérieur modeste, habité par d’honnêtes bourgeois, éclairé par un jour discret. Là, nulle prétention à l’effet, point de geste dramatique qui attire l’œil. La foule passe devant et n’y voit rien ; mais l’amateur ne se peut lasser de les contempler, il y fait tous les jours de nouvelles découvertes. Les figures qui semblent communes au vulgaire, ont pour lui la suprême distinction, celle du sentiment. Il s’associe au plaisir qu’a eu le peintre à caresser son œuvre, à la compléter, à parfaire chaque détail. Le moindre accessoire a une valeur : les commérages sont les accessoires de Cranford. Une femme d’esprit disait de ce livre « Il me sert de pierre de touche pour juger les gens. Je tasse ceux qui ne l’aiment pas parmi les superficiels, ceux qui le goûtent parmi les délicats. » Elle avait raison : il faut de la délicatesse pour sentir les nuances, pour se plaire à des observations de détail. Cranford, qui passe en Angleterre pour un des meilleurs ouvrages de Mrs Gaskell, n’a pas eu de succès en France. Chez nous l’esprit blasé par la peinture de sentiments forcés, de situations impossibles, ne se prête que difficilement à la lente initiation des caractères ; il aime les coups de foudre. Ces romans qui côtoient la vie, qui ne s’imposent pas impérieusement au lecteur, qu’on peut prendre et quitter comme un salutaire délassement d’occupations plus graves, qui se lisent en famille sans inquiéter les mères, sans effaroucher la pudeur des jeunes filles, ne deviennent cependant que trop rares et mériteraient d’être mieux accueillis. Toute bibliothèque bien composée devrait leur réserver un rayon.