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il se plut à évoquer des souvenirs presque effacés, se remémorer les tendances trop exactement réprimées, de cette enfance qui l’avait charmé. Cette imprudence le mena plus loin qu’il ne comptait, et avant la fin de l’été, nos deux jeunes gens se trouvaient fort épris l’un de l’autre, mais chacun a sa manière : Ellenor, avec l’ardeur presque passionnée qu’elle portait dans tous ses sentiments ; Ralph, de par un entraînement sur lequel la raison et le calcul ne devaient jamais cesser d’avoir prise. Personne autour d’eux ne se douta de ce résultat, d’autant plus facile à deviner, qu’il aurait dû se prévoir. Pour M. Wilkins, cette fillette qu’il berçait encore quelquefois sur ses genoux, n’était qu’une enfant sans conséquence. Miss Monro s’absorbait dans sa lutte avec le texte de Don Quixote. M. Ness, sur le point de publier un cent et unième commentaire des poëmes d’Horace, colligeait, de toute part ses notes inédites, et n’était pour ainsi dire plus de ce monde. Dixon, mieux que tout autre, eût pénétré le mystère, mais Ellenor, obéissant à l’instinct féminin, prenait grand soin d’isoler l’un de l’autre ses deux bons amis, qu’elle soupçonnait de ne s’aimer guère, et qu’elle voulait faire vivre en paix.

Rien n’était d’ailleurs changé aux habitudes quotidiennes de la jeune fille. Levée de bonne heure, elle jardinait jusqu’au déjeuner, où son père trouvait invariablement au bord de son assiette le bouquet encore mouillé de rosée qu’elle venait de lui cueillir. Après le thé, suivi de quelque causerie indifférente, à laquelle miss Monro ne prenait jamais qu’une part secondaire, M. Wilkins passait dans un petit cabinet de travail, ouvrant sur un passage qui existait, sur la gauche du vestibule, entre la cuisine et la salle à manger. En regard de celle-ci, de l’autre côté du vestibule, était le salon, dont une des fenêtres-portes donnait accès dans la serre ; par celle-ci on arrivait