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De tout ceci, Ellenor ne se doutait guère. Le nouveau clerc n’était pour elle qu’un être de raison. Son père chéri primait toujours, à ses yeux, le demeurant de la race humaine. Elle n’avait conscience que de ses brillantes qualités, de sa douceur, de ses charmants propos, de ses connaissances variées, de sa générosité inépuisable. Après lui, elle aimait surtout miss Monro, et parmi les domestiques de la maison, le cocher Dixon. Dixon était un grand gaillard, robuste encore malgré les premières atteintes de l’âge, et qui s’étant trouvé jadis le compagnon de jeux de l’enfant destinée à devenir ensuite sa jeune maîtresse, n’avait jamais complètement perdu la tradition et les privilèges de cette lointaine intimité. Serviteur favori, on lui passait des libertés de langage qui n’eussent été tolérées chez aucun autre, et miss Ellenor, habituée dès l’enfance à le trouver fort discret, lui faisait par-ci par-çà telle confidence dont aurait pu être jaloux M. Corbet, qu’elle affectionnait pourtant,… mais en seconde ligne et après Dixon. Ralph se doutait fort bien de cette préférence inavouée : il lui arriva même un jour, après plusieurs insinuations inutiles, de s’en plaindre ouvertement, ce qui lui attira une vaillante sortie de la terrible enfant. Elle était indignée qu’on voulût lui prescrire de traiter Dixon autrement qu’un vieil ami, et son jeune censeur regretta d’autant plus d’avoir ainsi encouru le déplaisir d’Ellenor, qu’il partait le lendemain même pour la résidence paternelle, d’où il devait quelques semaines plus tard, se rendre Cambridge. Il eût peut-être trouvé une certaine douceur consolante à la voir, quelques heures après son départ, se dérober à miss Monro — plongée dans l’étude de la langue espagnole, — pour venir pleurer tout à l’aise sous l’ombrage du petit bosquet de vieux arbres qui terminait assez gracieusement les plates-bandes du