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II


Entre Ellenor et son père, cette soirée sembla créer un lien plus étroit et plus tendre. Elle partageait ses affections entre lui et une petite sœur au berceau ; mais pour lui, ce baby n’existait pour ainsi dire qu’en théorie, et tout son cœur appartenait à l’aînée de ses deux filles. Il la voulait sans cesse auprès de lui, et lorsqu’il dînait au logis, — en général assez tard — il la voulait assise à la place jadis occupée par Lettice, encore que l’enfant eût déjà pris dans la nursery son souper à heure fixe. C’était un spectacle à la fois amusant et triste que de voir siéger ainsi cette ménagère précoce, s’efforçant de garder le digne maintien, l’attitude composée d’une véritable maîtresse de maison, jusqu’au moment où sa petite tête s’affaissait, chargée de sommeil, entre deux propos bégayés avec un sérieux parfait. Les servantes du logis lui trouvaient « des airs de vieille » et avaient bâti là-dessus une sinistre prophétie qui la condamnait à mourir jeune. Prophétie menteuse comme tant d’autres. Au lieu d’Ellenor ce fut sa petite sœur vermeille, fraîche et rieuse jusque-là, qui, saisie tout à coup de convulsions nerveuses, disparut, comme sa pauvre mère, en vingt-quatre heures. Ce nouveau coup fut très-vivement ressenti par Ellenor, qui néanmoins contenait pendant le jour l’expression de sa douleur ; mais la nuit, lorsqu’elle pouvait se croire seule, elle rappelait avec un accent déchirant le baby disparu. Son père, frappé de cette douleur insolite, mit de côté toutes ses affaires pour se vouer à cette enfant, désormais son unique souci. Il eut pour elle une