Page:Gaskell - Cousine Phillis.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaissait, et qu’elle éprouvait encore pour lui, au moment suprême, cette tendre sollicitude dont avait toujours été empreint l’attachement qu’elle lui vouait. Elle mourut ainsi, sans qu’il se fût relevé. Ne sachant comment le tirer de sa torpeur immobile, ses gens lui apportèrent sa fille aînée Ellenor, qu’on avait gardée jusqu’à ce moment dans la nursery, pendant cette journée d’alarme et de désespoir. L’enfant n’avait aucune idée de la mort, et son père, qu’elle voyait immobile, agenouillé, la frappa bien moins que ce pâle visage de sa mère sur lequel, à sa vue, le sourire accoutumé ne se dessinait point. Se débarrassant, par un geste impétueux, de la personne qui l’amenait, elle courut jusqu’au lit, baisa sans aucun effroi les lèvres pâles et froides, sur la chevelure éparse et lustrée promena sa main caressante, prodigua pour la pauvre morte qui ne l’entendait plus les tendres appellations qu’elles échangeaient dans le secret de leurs longs tête-à-tête, et dans cette crise de tendresse mêlée d’effroi, manifesta un tel désordre d’esprit que son père, forcément arraché à sa douloureuse immobilité, la prit dans ses bras pour l’emporter au fond de son cabinet, où ils passèrent tous deux le reste de la journée. Personne ne répétera jamais ce qu’ils se dirent alors. Seulement la domestique chargée d’apporter le souper d’Ellenor revint annoncer, toute surprise, à ses camarades, que « monsieur faisait manger mademoiselle, comme si elle n’avait que six mois. » Ellenor avait à cette époque près de six ans.